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lundi 4 avril 2005
L'entreprise vs l'homme
Je ressens parfois un malaise face à mon travail. La compétition auxquelles doivent faire face les entreprises est tellement grande en ce moment avec l’apparition de marchés émergents et le monde du travail tellement centré sur la performance et l’amélioration continue, c’en est rendu presque une religion. Mon patron veut qu’on baisse les coûts, baisse les taux de rejet et accélère les cadences de production afin d’être plus compétitif et tout cela dans la joie et la bonne humeur… Pour me motiver face à un projet, il me dit : « y’a de l’argent à aller chercher là! » en se frottant les mains. C’est fou comme ça m’inspire! Aller chercher les miettes perdues par-ci par-là dans l’entreprise pour le plus grand bonheur des actionnaires.

Y’a des fois j’en est marre, et je ne trouve plus l’énergie et la motivation pour faire face avec le sourire. J’ai l’impression de travailler simplement pour pouvoir avoir de l’argent et pour pouvoir acheter et payer. D’un autre côté je travaille pour produire au meilleur coût et une meilleure qualité, ce qui profitera en grande partie aux actionnaires, qui pourront dépenser encore plus et de façon marginal à moi-même puisque je peux acheter des biens à meilleur prix et en plus grande quantité. Tout un cercle vicieux que tout cela, et qui m’apparaît dénudé de toute humanité. Une grosse machine qui roule à l’argent, c’est tout. C’est un peu déprimant vu sous cet angle là, n’est-ce pas?

Mais j’ai eu le bonheur, en fin de semaine, de tomber sur un article dans lequel Vincent de Gaulejac, sociologue de l'Université Paris-VII, est interviewé. En certains points, son discours ressemble un peu à ma pensée, mais avec des mots un peu plus scientifiques. Voyez par vous-même

"Pour le sociologue, le diagnostic est clair : la société se laisse contaminer par l’obsession de la rentabilité : « La rentabilité ou la mort, telle semble être la seule alternative que les gestionnaires proposent à l’espèce humaine. De plus, dans ces sociétés hypermodernes et hyperintelligentes, le « conformisme » devient vite
le pendant de l’utilitarisme gestionnaire : face à l’injonction d’optimisation managériale, difficile de jouer les briseurs d’ambiance en osant formuler quelques critiques. Il faut « être positif ». Et l’employé inconscient qui « soulève un problème sans amener la solution » est vite ostracisé. Tel est le salut moderne : surtout ne pas réfléchir, ne pas se réformer par peur de ralentir la chaîne de production "


Source : http://www.humanite.fr/journal/2005-02-23/2005-02-23-457272

Ou encore :

"Le pouvoir des nouveaux gestionnaires est librement consenti. Il y a une intériorisation par les sujets des valeurs imposées. Par exemple, une de ces valeurs, c'est la qualité totale. Comment voulez-vous être contre la qualité? Alors, forcément, vous adhérez à l'idée de qualité. Vous adhérez au fait qu'on vous demande de mieux travailler, car personne n'est contre la vertu. L'avancement au mérite, difficile d'être contre."

"Une des raisons du malaise dans le monde du travail est le décalage grandissant entre les indicateurs proposés par les outils de gestion pour mesurer l'activité des gens, et la valeur que les gens accordent à ce qu'ils font. Non seulement l'application de ces outils les empêche de travailler, mais leurs indicateurs sont à cent lieues de ce qu'ils estiment être de la qualité."

"Cependant, les résultats d'une meilleure productivité ne profitent qu'à la logique financière et ne servent pas à réduire le temps de travail, par exemple. Au contraire, on constate aujourd'hui une nouvelle augmentation du temps de travail, après des décennies de réduction. D'autant plus que ce que nous avons gagné en temps de travail ces 50 dernières années, nous l'avons payé en intensification du travail."

Source :
http://www.jobboom.com/magazine/2005/v6n3/v6n3-02.html

Bref, c’est rassurant de voir que ces idées et convictions un peu floues qu’on peut porter en soi se retrouve dans le travail de spécialistes qui sont en mesure de mieux expliquer le malaise qu’on vit. Bien sûr, je ne suis pas prête à tout prendre ce qu’il dit pour du cash, mais quand même, y’a un certain bon sens dans tout cela, ne trouvez-vous pas?